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Ma Culture Alter-Native
26 avril 2005

Avant la soirée Halloween

Assis sur son lit, attendant que les pâtes cuisent, Stéphane plaignait tous ces gens qui sacrifiaient leur personnalité et leur âme pour … il ne savait même pas pourquoi ils se corrompaient ainsi. Peut-être pour échapper à la solitude ou au vide de leur esprit... Plus il pensait à ces gens fades et inintéressants, prévisibles et dans lesquels on peut lire comme dans un livre, plus il prenait conscience de la chance qu’il avait de connaître les trois autres, desquels il se sentait très différent.

Stéphane entendit les pâtes bouillir et cela le sortit de sa réflexion. Une fois revenu à la réalité, il se demanda à quoi lui servait de réfléchir à ce genre de choses à présent. Réalisant ainsi l’inutilité de ses propres pensées, Stéphane alluma sa chaîne stéréo et finit de préparer ses spaghettis.

Au moment de verser ses pâtes dans son assiette, il entendit son téléphone portable émettre un double « bip ». Stéphane n’interrompit pas son mouvement et commença à manger lentement. Il profitait de ces longs moments de solitude avant la soirée. Il laissait son esprit divaguer complètement. Il se sentait possédé par une vague de mélancolie doublée d’une impression de travail accompli. La musique lente et claire l’aidait à écouter ces sentiments de fin de journée. Il avait l’impression que toute la fatigue due à ses longues journées et à ses nuits troubles l’assaillait tout à coup. Les yeux dans le vague, il trouvait néanmoins la force d’absorber machinalement son repas.

Au bout de plusieurs minutes, il se rendit compte que les pâtes n’étaient pas assez salées et qu’il allait lui falloir sortir de ses agréables rêveries. Cela lui coûtait mais le repas serait meilleur ainsi. Il en profita pour lire le message sur son téléphone. Comme il s’y attendait, c’était Hélène qui essayait d’attirer son attention : « Ai bcp réfléchi. Veux te parler. T’m encore. Tel moi ce soir. H. » Stéphane se demanda pourquoi elle persistait à signer ses messages alors qu’il suffisait de lire l’écran du téléphone pour savoir que c’était bien elle. Puis, il éteignit son téléphone. Ce soir, il ne désirait que liberté et tranquillité. Il se dit également qu’il fallait beaucoup pour obliger les gens à réfléchir. En général, les faire souffrir était une bonne stratégie. « Leur propre souffrance est sans doute un sujet qui les intéresse. » laissa-t-il échapper à l’auditoire composé de ses livres, disques et souvenirs de vacances.

Stéphane but une bière et s’allongea sur son lit. Il regardait fixement son plafond blanc, la bouteille de bière posée sur sa table de chevet. L’alcool l’engourdissait et lui donnait envie de dormir. Mais il avait trop peur de faire de nouveaux cauchemars. De plus, il était trop tard et s’il s’endormait maintenant, il ne pourrait plus se rendre à la soirée d’Halloween. Il sentait monter en lui l’excitation et l’impatience qui précédaient chaque soirée prometteuse. Stéphane pensait que c’était une sorte de trac, comme s’il était un artiste avant de monter sur scène. Peut-être était-ce le cas ce soir. Lorsque cette excitation fut trop forte, il dut se lever de son lit. Ensuite, il saisit la chaise de son bureau et la posa devant son miroir. Il sortit de la poche de son manteau, posé chaotiquement sur la chaise, son maquillage pour la soirée : un crayon noir et du blanc. Il posa délicatement son matériel sur le rebord du lavabo, versa trois gouttes d’eau sur le blanc et attendit quelques secondes que l’eau fasse son effet. Puis il prit sa brosse à dent et s’en servit pour appliquer le blanc sur son visage. Il fit attention à ne pas utiliser une couche trop épaisse de maquillage pour qu’on puisse deviner la peau et qu’on est ainsi l’impression d’une peau livide et non d’un pot de peinture. Cela lui prit quelques minutes car il était difficile d’étaler le blanc de façon homogène sur la surface du visage, des oreilles et du cou. Alors qu’il achevait cette tâche à l’aide de nombreux kleenex, la sonnette retentit. Stéphane ouvrit machinalement et Anthony fit son apparition dans la chambre exiguë. En observant Stéphane, il dit : « C’est un peu fade !

-         Attends, tu vas te marrer, répondit Stéphane, sûr de lui. Et toi, tu n’es toujours pas maquillé ?

-         Moi ? Non… hésita Anthony.

-         Tu as peur pour ta réputation de garçon équilibré ? ironisa Stéphane.

-         Non…

-         Pour ta crédibilité peut-être ? demanda Stéphane de plus en plus sarcastique.

-         Ne sois pas ridicule, Stéph’, le pria Anthony, excédé. De toute façon, je ne serai pas le seul à ne pas me déguiser. Je n’en ai pas envie, c’est tout. 

-         Très bien, Monsieur… C’est pourtant très excitant. Maintenant, regarde bien. Matisse pouvait dessiner un visage en un trait de crayon. Moi, je peux transformer le mien en quelques traits bien placés. »

Stéphane, ainsi pâli par le maquillage, se leva, prit un petit coffret sur une étagère, l’ouvrit et en retira une petite boîte grise en forme de cœur et la montra à Anthony avec un large sourire malicieux en affirmant : « C’est du mascara… Je l’ai piqué à Hélène. Maintenant, ouvre les yeux. »

Stéphane se saisit du crayon noir et commença par prolonger les extrémités extérieures de ses sourcils d’un centimètre chacun en suivant les courbes de son visage. Puis, il les rejoignit en dessinant un triangle échancré dont les sommets étaient les autres extrémités de ses sourcils et le creux entre ses deux yeux et juste au-dessus de la naissance de son nez. Puis il apprécia le résultat, se tourna vers Anthony et se saisit du mascara. Il s’en appliqua tout autour des yeux et sur ses larges cernes. Il en déposa également une fine couche sur ses paupières et dut pour cela les tenir abaissées l’une après l’autre. Anthony semblait à la fois distrait et intéressé par le spectacle. Stéphane s’arrêta une fois de plus pour apprécier le résultat. Au même moment, Anthony pensa qu’il ressemblait alors à un artiste peintre en pleine création qui prenait du recul pour mieux percevoir sa toile. Le fil de ses pensées fut coupée lorsque Stéphane lui dit : « Avec un peu de chance, j’aurais les yeux rouges sur les photos. Ca va tout péter… ». Anthony fut impressionné par le sens du détail de son ami.

Stéphane continua à parler malgré le silence d’Anthony : « Alors, qu’est ce que tu en dis ? » Il ne laissa pas à son ami le temps d’ouvrir la bouche et répondit à sa propre question : « Je trouve ça tellement fade, banal, commun ! » Anthony eut une expression mêlée de surprise et de scepticisme puis se mit à rire bruyamment. Mais Stéphane poursuivit son monologue : « Ne fais pas cette tête, Tony : tu n’as encore rien vu ! D’ailleurs, retourne-toi, je vais te faire la surprise. Après tout, aucun peintre ne se laisserait observer pendant sa création. Allez, retourne-toi. » Alors qu’Anthony s’exécutait, Stéphane reprit le crayon noir, ferma les yeux et dessina un trait vertical coupant son visage en deux en partant du front, en coupant les traits qu’il avait déjà tracés entre les sourcils, en suivant le nez, en traversant la bouche et en finissant au menton et à la gorge. Puis il rouvrit les yeux et sentit une vague de plaisir. Il dessina ensuite un court trait horizontal un centimètre au-dessus des sourcils afin que l’ensemble des traits horizontal et vertical ressemble à une croix catholique à l’envers, symbole que chacun sait être diabolique. Enfin, il dessina deux traits noirs harmonieux imitant des larmes, se tourna vers Anthony, baissa la tête pour que ce dernier visse le plus de blanc possible dans les yeux de Stéphane lorsqu’il se retournerait. Il regretta de ne pas avoir de rouge à lèvres noir.  « Tu peux maintenant me regarder ! » annonça soudain Stéphane. Anthony répondit par un « Uh ! » d’étonnement puis rit de nouveau. Ensuite, il se moqua tendrement : « On ne va pas à un concert de Kiss ou à la première de The Crow, le retour de la vengeance ! » Stéphane rit de bon cœur. C’était toujours bon de rire de soi-même. Dans la plupart de ces petites moqueries amicales, on envoyait doucement une balle de ping-pong et l’autre recevait un ballon de basket en pleine figure et à pleine vitesse. Mais cette fois, Stéphane savait qu’Anthony était au fond impressionné par son maquillage. « Une petite bière et on y va ? » demanda Stéphane. « D’accord ! Au fait, avec Hélène, ça va ? répondit Anthony.

-         Tout va pour le mieux, répondit Stéphane en sortant deux bières de son réfrigérateur exigu.

-         Tu en es sûr ? insista Anthony.

-         Merci de t’en inquiéter en tout cas, affirma Stéphane.

-         Tu sais que tu peux tout me dire, Stéph’.

-         Oui, encore merci, mais ce n’est peut-être pas le moment… annonça Stéphane, qui se refusait à confier à son ami les événements de la journée. Il se dit que c’était suffisamment difficile comme ça et répondit : « Tu sais que je ne parle pas facilement de certains sujets. En plus, nos victimes nous attendent. »

-         Tu ne parles pas facilement … de tes problèmes précisa Anthony.

-         Ne t’inquiète pas, la douleur n’est que physique, cita Stéphane, l’air faussement joyeux.

-         Au contraire, tu m’inquiètes ce soir.

-         Dans ce cas, il me faut te rassurer. On y va ?

-         Si tu veux. »

Stéphane et Anthony finirent leurs boissons en silence, enfilèrent leurs manteaux. Stéphane en sortit une paire de fines lunettes de soleil. Il annonça : « Et maintenant la touche finale ! » et mit les lunettes noires. Avec le mascara, c’était du meilleur effet : noir sur noir, ombre sur ombre, ton sur ton. Tous ses vêtements, un jean, une chemise et un long manteau, étaient également noirs.

Les deux jeunes garçons sortirent de la chambre en silence et marchèrent dans les couloirs de la cité universitaire. Stéphane ne voulait pas allumer la lumière pour se mettre dans l’ambiance. Pour s’être déjà rendu à plusieurs soirées Halloween avec lui, Anthony savait qu’il ne fallait pas allumer la lumière. Grâce à cette obscurité, Stéphane voyait bien la pleine lune et les étoiles par les fenêtres du couloir, petits points brillants perdus dans l’immensité ténébreuse. Anthony lui aussi se laissait envelopper dans cette ambiance angoissante et fascinante, résolument gothique. Il n’avait plus envie de discuter mais seulement d’être. Profitant de ce silence, Stéphane se laissait aller à ses pensées sombres. Il se dit que, la nuit, la voûte céleste ressemblait à l’humanité : une immensité de ténèbres, avec quelques points brillants éparpillés. En la lune, il vit Hélène, le halo de lumière divine ; dans les autres étoiles, il vit ses amis, sa famille et tous ceux qu’il trouvait digne d’intérêt, d’une manière ou d’une autre. Il se demanda enfin où il se trouvait lui-même, s’il était une étoile, s’il brillait aux yeux de ses proches. Il regretta que l’âme humaine ait une forte tendance à se surestimer ou à se sous-estimer. Mégalomanie égocentrique ou modestie pathologique ? Selon lui, il fallait choisir et il avait choisi.

Il eut envie de révéler ces pensées à son compagnon :  cela l’aurait peut-être rassuré. Pourtant, au lieu de cela, Stéphane se rendit compte qu’il aurait aimé que les étoiles fussent les enfants de la Lune Elle-même. Ces réflexions sur la lune et sur ses enfants rappelèrent une fois de plus à son esprit le souvenir d’Hélène. Stéphane ressentit alors une grande lassitude. Heureusement, les deux jeunes hommes étaient déjà sortis de la cité universitaire et traversaient le parc de l’université, en direction de l’arrêt de tramway. Stéphane eut envie de chasser le souvenir d’Hélène de son esprit car il savait que, s’il réfléchissait trop sur ce sujet, sa petite amie deviendrait pour lui une idée ou un concept et cesserait d’être une personne. Peut-être une idée formidablement positive, une idée d’amour, d’affection, de tendresse et de bonheur, mais une idée tout de même. Ainsi, pour divertir son esprit, il entama une nouvelle discussion : « C’est une belle nuit, non ?

-         Je crois, répondit Anthony, sceptique.

-         Finalement, tu n’es toujours pas maquillé.

-         Non, non, définitivement non, s’exclama Anthony.

-         Voilà le tram : pour une fois, nous serons à l’heure.

-         Oui, la lune a une mauvaise influence sur nous.

-         Où est le bien ? Où est le mal ? demanda Stéphane, entrant doucement dans un nouvel état d’esprit

-         Avec tes questions stupides, tu saoules plus que la vodka polonaise, accusa Anthony.

-         Je vois que Monsieur est déjà bien lancé… avec seulement trois bières dans le sang…se moqua malicieusement Stéphane.

-         De toute façon, on va à la fac’ de Lettres, répliqua Anthony.

-         Là où n’importe qui peut passer inaperçu, poursuivit Stéphane.

-         Même un clochard ivrogne… enchérit Anthony.

-         Ça va saigner…

-         Arrête avec tes jeux de mots pourris. Tu es au courant que Dracula est mort ?

-         Non-vivant, Tony, non-vivant »

Stéphane se dit que son ami était vraiment chaud et se demanda ce qu’il avait pu bien faire pendant que lui-même « dégustait » un plat de pâtes. Mais, le trajet en tramway ne l’avait pas rendu malade, ce qui prouvait qu’il n’y avait pas de raison de s’inquiéter plus que nécessaire.

Le tramway s'arrêta devant la faculté de Lettres. Stéphane apreçut Guillotine et Jonathan près de l'entrée. Guillotine ne s'était ni changé ni maquillé. Jonathan portait un jean noir, un long manteau de cuir noir et s'était maquillé avec finesse: un peu de fond de teint blanc et du mascara autour des yeux. Stéphane pensa que cela manquait de folie et d'extravagance pour une telle occasion mais c'était assez réussi.Sans un mot, les garçons payèrent leur entrée. A ce moment, Stéphane eut vraiment l'impression de jouer dans Orange Mécanique, accompagné de ses trois "droogies". 

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