L'insomnie de l'étudiant

19 avril 2005

Voici le prologue d'une nouvelle que j'ai écrite. Elle parle d'un étudiant qui connaît des difficultés avec sa petite amie. Ce prologue traite de l'insomnie et des pensées qu'elle peut provoquer.

Mon Dieu, il est déjà 23h18. A quelle heure dois-je me lever demain matin ? Cours à huit heures, réveil à sept heures, comme d’habitude, une habitude à laquelle je ne me ferai sans doute jamais. Donc, si je m’endors dans les prochaines douze minutes, il ne me reste, au mieux, que sept heures et demie de sommeil. Je crois avoir entendu que, pour être en forme, un être humain a besoin d’au moins huit heures de sommeil par nuit. Ah oui, c’est vrai, ça dépend des gens. Alors, moi, de combien d’heures ai-je besoin ? Comment sait-on si on est « en forme » ? Profitons donc de ces douze dernières minutes à « vivre », et allons nous coucher, pour être à peu près efficace demain…

C’était encore une soirée inutile : rien de regardable à la télévision, pas de visite, pas de coups de téléphone. Mais qu’ai-je bien pu faire depuis que j’ai fini de manger ? J’ai l’impression que c’était il y a dix minutes. Ma montre a l’air d’indiquer que c’était il y a presque trois heures. De toute façon, je n’ai jamais vu une montre capable d’intégrer la subjectivité du temps, ses accélérations frénétiques et ses ralentissements brutaux. Les aiguilles tournent toujours à la même vitesse alors que le temps s’écoule dans un sablier dont le goulot change de diamètre à chaque « instant », si je puis dire.

Mais pourquoi devrais-je aller au lit maintenant ? Je ne veux pas dormir. Qui sait ce qui peut bien m’arriver pendant mon sommeil ? Suis-je vraiment en sécurité en quittant ce monde ? Quel cauchemar s’abattra encore impitoyablement sur mon esprit fragile ? Et puis dormir n’est pas si simple. Encore faudrait-il que j’y arrive ! Que se passera-t-il si je n’y parviens pas ? Quelle perte de temps et d’énergie que d’essayer de s’endormir sans succès ! Bon, voyons l’heure…

00h52. Plus que six heures potentielles. Il paraît que certains humains vivent très bien en ne dormant que six heures par nuit. Je vais encore avoir du mal à me lever demain matin. Mais pourquoi l’être humain a-t-il besoin de sommeil ? Ce n’est que perte de temps et exposition à nos démons intérieurs : les cauchemars, la peur de l’obscurité, le sentiment du passage du temps, la haine de la finitude de la vie… C’est une malédiction, un fardeau, une contrainte contre laquelle on ne peut rien.

Quoi qu’il en soit, je suis bien ce soir, dans ma chambre sombre et exiguë, avec cette musique lente et gracieuse. La mélancolie et la lassitude m’envahissent et me font oublier l’existence de mon propre corps. Mes pensées noires me tiennent compagnie. Alors pourquoi devrais-je aller me coucher comme un petit garçon sage ? Pour être en forme demain, pour réussir mes études, pour ménager mon apparence ou pour être sociable ? Rien de profond là-dedans, rien de fondamental, seulement des prétextes.

Beaucoup de gens cherchent une raison de se lever le matin. Moi, je me demande pourquoi se coucher le soir. Pourquoi devrait-on sacrifier ces doux moments pendant lesquels l’âme et le cœur revivent, vibrent et se reposent ? Mes tourments s’estompent et je ressens une joie douce, calme et nostalgique, pareille à un grand soulagement. Lorsqu’il n’y a plus rien à faire, lorsqu’on peut prendre son temps et s’occuper de son intérieur, on se reconstruit, on renaît lentement et on se sent apaisé. 01h35. Pour maintenant, inutile de se voiler la face : demain, ce sera très difficile. Mes yeux se font lourds mais je ne cèderai pas. Allongé sur mon lit, j’entends mon cœur battre et c ‘est si bon de se sentir vivant. Non, je ne fermerai pas les yeux. Le manque de sommeil est un bon antidépresseur et j’ai peur des rêves, du somnambulisme et du réveil douloureux. Je ne dormirai pas. Je ne m’éteindrai pas.